Le bain turc
Jean-Auguste-Dominique Ingres (Montauban, 1780 - Paris, 1867)
1852-1859, modifié en 1862
Huile sur toile collée sur bois
Département des Peintures, RF 1934
« Ingres a d’abord rêvé de moi il y a bien longtemps. Il était alors à Rome, un tout jeune pensionnaire, et m’appela la Baigneuse. Regardez autour de vous, je suis dans la même salle, seule et datée de 1808.
Plus de 50 ans ont passé et mon peintre a vieilli, mais moi je suis restée la même. Me voici assise dans ce hammam d’Orient où je joue du luth pour les autres baigneuses.
Parce que vous ne verrez jamais mes seins ni mon visage, à moi qui suis d’ici, toutes celles qui m’écoutent, dansent ou bien se délassent, pressées les unes contre les autres, vous montrent les leurs. Là-bas, les mœurs sont tout autres.
Dans cet ailleurs sublime, l’eau est source de vie et de sensualité. Et je me réjouis qu’en Europe, on s’en inspire enfin ! L’eau circule dans les entrailles de la ville et arrive désormais jusqu’aux étages des nouveaux immeubles. Anobli par les médecins qui attendent qu’il soigne les corps et les esprits, cet élixir bienfaisant trône dans les villes thermales où l’on se presse.
Quant à nous, au bain turc, nous profitons gaiement de ses vapeurs bienfaisantes. Certains nous jugeront lascives, d’autres, plus tard, diront que nous sommes nées du songe exotique d’un peintre n’ayant jamais vu le Bosphore. N’est-ce pas pourtant la vraie beauté : cette liberté des corps qui se laissent aller sans calcul ni pudeur au simple plaisir d’être ensemble et de se sentir exister dans une douce chaleur parfumée ? »