Autoportrait de l'artiste tenant un chardon
Albrecht Dürer (Nuremberg, Allemagne actuelle, 1471 - Nuremberg, 1528)
1493
Huile sur parchemin marouflé sur toile (?)
Département des Peintures, RF 2382
« Chère Agnès,
Puisque, comme l’ont décidé nos parents, nous sommes destinés à être mariés à mon retour à Nuremberg après quatre ans à parfaire mon art, permettez-moi de me rappeler à vous à travers ce que j’ai de plus cher, la peinture.
J’ai 22 ans et je désire ne rien vous cacher de moi. Voyez donc le souci que j’ai pris à détailler le désordre de ma coiffure et la facture de mes vêtements, à montrer mes cernes et la forme busquée de mon nez, ma volonté de me présenter à vous tel que je suis, ni plus ni moins. À rebours des usages, je crois qu’il est inutile de tricher avec son image, et si, par bonheur, vous m’y trouvez quelque attrait, du moins sera-t-il authentique.
Malgré la distance qui nous sépare, je tente de vous regarder à travers ce portrait et vous prie humblement de me rendre ce regard. J’espère que vous saurez être indulgente et voir, au-delà de mes imperfections, tout ce que je ne saurais peindre et qui n’aspire qu’à s’attacher à vous et au destin qu’on nous a choisi.
Parce que je désire rendre grâce à Dieu qui bénira bientôt notre union, j’ai peint ces quelques mots : « Les choses m’arrivent comme c’est écrit là-haut. » Quant au chardon entre mes mains, il se veut le gage de la fidélité que je vous promets.
Vous m’excuserez d’avoir peint ce portrait sur parchemin et non sur bois comme l’usage l’aurait voulu, il sera plus léger pour mieux vous parvenir.
Espérant avoir su me montrer à vous sans rien dissimuler de ce que j’ai de plus intime et de plus pur – oserais-je dire ce que j’ai de plus invisiblement beau, je demeure plus que jamais, Madame, votre obligé… »