Madame Vigée-Le Brun et sa fille, Jeanne Lucie, dite Julie (1780-1819)
Elisabeth-Louise Vigée-Le Brun (Paris, 1755 - Paris, 1842)
1786
Huile sur bois
Département des Peintures, INV 3069
« Ma chère Suzanne,
Je viens de terminer le portrait que je vais présenter au prochain Salon de l’Académie. Comme femme, comme mère et comme artiste, j’en suis très fière. Je m’y suis représentée avec ma Julie adorée. J’ai hâte de vous faire découvrir combien elle est jolie, ce cher petit ange, blottie au creux de mes bras.
Je sais que le simple fait de donner chair ainsi, au travers d’une peinture, à l’amour maternel va heurter les esprits étriqués, tout pétris qu’ils sont encore des conventions héritées du passé, qui associent à la beauté un certain air de gravité.
Vous me connaissez assez, je crois, bien que votre mariage avec mon frère soit encore récent, pour savoir qu’il n’y a chez moi nulle intention de choquer. J’ai simplement voulu, en nous peignant ainsi, souriant à la vie, reproduire nos expressions naturelles, loin de la pompe des portraits officiels et des visages emperruqués figés par un maquillage outrancier.
On voit mes dents ! C’est audacieux, je le reconnais. Vous en connaissez la raison : par mauvaises habitudes et défaut d’hygiène, beaucoup ont des dents abîmées qu’ils cachent derrière un air sérieux.
Or depuis quelques années, le commerce des dentifrices se développe : une eau balsamique et spiritueuse a même été brevetée par la Faculté de médecine, issue de la macération de plantes et d’épices comme la badiane, le clou de girofle, la cannelle, l’essence de menthe.
Mes dents ne sont pas gâtées, alors je souris et je les montre, tout simplement !
J’espère votre visite au plus tôt.
Votre affectionnée belle-sœur,
Élisabeth »