Portrait présumé de Madeleine
Marie-Guilhelmine Benoist née De Laville-Leroulx (Paris, 1768 - Paris, 1826)
Exposé au Salon de 1800, sous le titre Portrait d’une négresse
Huile sur toile
Département des Peintures, INV 2508
« J’ai changé plusieurs fois de nom.
Portrait d’une négresse, c’est le titre que mon tableau portait en 1800. Il fit sensation. Depuis peu, nous sommes enfin libérés de l’esclavage et le regard qu’on nous porte change.
On disait alors qu’il était particulièrement difficile de peindre les peaux noires.
Ma portraitiste a excellé dans son art à rendre les nuances de mon teint, les reflets de la lumière sur ma peau, la texture de mes cheveux. Sur fond blanc, comme pour inverser l’équilibre des portraits classiques.
Elle m’a fait poser dans l’attitude réservée aux femmes de la bourgeoise et de la noblesse. Elle a bien appris de son maître, le peintre David.
Que dire de mon sein dénudé ? Aurait-elle pris cette liberté dans le portrait d’une femme blanche ? De mon statut d’esclave, j’ai gardé cet anneau que je porte à l’oreille. À quoi bon le quitter ? Dans deux ans à peine, la traite sera déjà rétablie par Napoléon Bonaparte…
Je soutiens votre regard et je questionne la cupidité qui nous fait traverser les océans. Des jeunes États-Unis d’Amérique à la vieille Europe, les débats font rage, mais notre émancipation est si fragile et l’égalité plus loin encore. Ne sommes-nous pas impliqués dans ce drame ?
En l’an 2000 on rebaptisera mon tableau Portrait d’une femme noire. Et plus tard, croyant m’avoir identifiée, on m’appellera Madeleine. J’ignore si j’aurai un jour un nom propre, mais en attendant je m’efforce d’incarner, avec noblesse, la beauté de toutes les femmes noires. »